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ses pieds et versait des rouges bords à sa femme qui refusait en vain, aux enfants déjà endormis, une joue dans leur assiette, et à moi, malheureux, qui avalais sans goûter, les vins rouges, roses, blancs, ambrés ou dorés, dont il proclamait, d’une voix joyeuse, l’âge et le cru, sur la foi de l’épicier qui les lui avait vendus. Nous vidâmes ainsi un nombre que j’ignore de bouteilles diversement cachetées. Après quoi, j’exprimais à mon hôtesse des sentiments nobles et tendres. Tout ce que j’avais dans l’âme d’héroïque et d’amoureux se pressait à mes lèvres. Je poussais la conversation au sublime. Mais j’éprouvais une réelle difficulté à l’y maintenir, car, si M. Planchonnet approuvait de la tête mes spéculations les plus transcendantes, il n’y donnait aucune suite et me parlait incontinent du choix et de la préparation des champignons comestibles ou de quelque autre sujet culinaire. Il avait dans la tête un parfait cuisinier et une bonne géographie gastronomique de la France. Parfois aussi, il rapportait des traits d’esprits de ses enfants.

Je m’entendais mieux avec Mme Planchonnet qui déclara à plusieurs reprises qu’elle avait le goût de l’idéal. Elle me confia qu’elle avait lu