Mais que fait-il et que font ses deux camarades ? Ils regardent. Ils regardent tous trois. Quoi ? Une chose à l’horizon disparue, une chose qu’on ne voit plus et qu’ils voient encore, une chose dont ils restent éblouis. Le petit Jean en oublie le fouet de peau d’anguille qui naguère faisait, dans ses mains, tourner sans relâche le sabot de bois sur la poussière des routes. Pierre et Jacques, les mains derrière le dos, demeurent stupides.
Ce qu’ils ont vu tous trois, c’est la voiture d’un camelot, une voiture à bras qui s’est arrêtée dans la rue du village.
Le camelot a tiré la toile cirée qui la recouvrait, et aussitôt des couteaux, des ciseaux, de petits fusils, des pantins, des soldats de bois et de plomb, des flacons d’odeurs, des pains de savon, des images peintes, mille choses éclatantes ont réjoui les regards des hommes, des femmes et des enfants. Les servantes de la ferme et du moulin en ont pâli de désir ; Pierre et Jacques en ont rougi de joie. Le petit Jean en a tiré la langue. Tout ce qui était dans cette voiture leur semblait précieux et beau. Mais les objets qui leur semblaient les plus désirables, c’étaient les objets inconnus, dont ils ne pouvaient comprendre ni le sens ni l’usage. C’étaient, par exemple, les boules polies comme des miroirs qui reflétaient leurs visages avec des déformations risibles. C’étaient les images d’Épinal, couvertes de figures plus vives que les figures naturelles ; c’étaient les étuis et les boîtes contenant des choses inimaginables.
Les femmes ont fait emplette de guimpes et de dentelles au mètre, et le camelot a roulé de nouveau la toile cirée noire sur les richesses de la voiture ; et, tirant la bricole, il s’en est allé par la route ; et maintenant voiture et voiturier sont disparus derrière l’horizon.