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des chanteurs. Fanchon avait trop bon cœur pour refuser du pain à qui le payait par des chansons.

Elle était une petite fille des champs et elle ne savait pas qu’autrefois, dans un pays où de blancs rochers se baignent dans la mer bleue, un vieillard aveugle gagnait son pain en chantant aux bergers des chansons que les savants admirent encore aujourd’hui. Mais son cœur écouta les petits oiseaux, et elle leur jeta des miettes qui ne tombèrent point à terre, car les oiseaux les saisissaient en l’air.

Fanchon vit que les oiseaux n’avaient pas tous le même caractère. Les uns, rangés en cercle à ses pieds, attendaient que les miettes leur tombassent sous le bec. C’étaient des philosophes. Elle en voyait au contraire qui voltigeaient avec beaucoup d’adresse autour d’elle. Elle s’avisa même d’un voleur qui venait effrontément picoter la tartine.

Elle émiettait le pain et elle jetait des miettes à tous. Mais tous n’en mangeaient point. Fanchon reconnut que les plus hardis et les plus adroits ne laissaient rien aux autres.

« Ce n’est point juste, leur dit-elle ; il faut que chacun mange à son tour. »

Elle ne fut point entendue. On n’est guère écouté quand on parle de justice. Elle essaya par tous les moyens de favoriser les faibles et d’encourager les timides ; mais elle n’y put réussir, et, quoi qu’elle fît, elle nourrit les gros aux dépens des maigres. Cela la fâchait : simple enfant comme elle était, elle ne savait pas que c’est l’usage.

Miette à miette, la tartine passa tout entière dans le bec des petits chanteurs. Et Fanchon rentra contente dans la maison de sa grand’mère.