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tre, dans son discours, quelque dédain de la poésie de ces vieux âges. Or, dans ce cas que j’ose prévoir, je lui représenterai respectueusement que cette poésie fut belle en sa fraîche nouveauté, qu’elle eut, à son heure, les formes et les couleurs si douces de la jeunesse, qu’alors elle aidait les hommes à supporter l’ennui de vivre, qu’elle donnait à chacun la petite part de beauté dont tous avaient besoin et qu’enfin ces vieilles chansons de geste sont des Iliades barbares. Après quoi je ne ferai pas difficulté de reconnaître qu’à la poésie des trouvères, et à celle des diseurs de lais et de fabliaux, je préfère la poésie moderne, celle de Lamartine, par exemple, et aussi celle de M. Leconte de Lisle.

On sera surpris, sans doute, que je rapproche ces deux noms. Car il est vrai que ce n’est point l’usage. Et il est vrai aussi que rien ne ressemble moins aux vers de Lamartine que les vers de Leconte de Lisle. Dans ceux-ci on admire un art incomparable. Des autres on a dit justement qu’on ne sait pas comment c’est fait. Leconte de Lisle veut tout devoir au talent. Lamartine ne demandait rien qu’au génie.