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être est poète. Il oublie tout, même ses raisons et sa raison, quand il s’agit de son art. Cela est heureux et excellent. J’ajouterai que cela est naturel. Quels que soient nos doutes philosophiques, nous sommes bien obligés d’agir dans la vie comme si nous ne doutions pas. Voyant une poutre lui tomber sur la tête, Pyrrhon se serait détourné, encore qu’il tînt la poutre pour une vaine et inintelligible apparence. Il aurait craint naturellement de prendre du coup l’apparence d’un homme écrasé. Eh bien, pour M. Leconte de Lisle, l’action, ce sont les vers. Quand il pense, il doute. Dès qu’il agit, il croit. Il ne se demande pas alors si un beau vers est une illusion dans l’éternelle illusion, et si les images qu’il forme au moyen des mots et de leurs sons rentrent dans le sein de l’éternelle Maia avant même d’en être sortis. Il ne raisonne plus ; il croit, il voit, il sait. Il possède la foi et avec elle l’intolérance qui la suit de près.