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toutefois d’un pas agile. Puis il s’arrêta et se remit en lampadaire au bord du trottoir.

Après quoi M. Bergeret dit à sa fille :

— Je viens de commettre une mauvaise action : je viens de faire l’aumône. En donnant deux sous à Clopinel, j’ai goûté la joie honteuse d’humilier mon semblable, j’ai consenti le pacte odieux qui assure au fort sa puissance et au faible sa faiblesse, j’ai scellé de mon sceau l’antique iniquité, j’ai contribué à ce que cet homme n’eût qu’une moitié d’âme.

— Tu as fait tout cela, papa ? demanda Pauline incrédule.

— Presque tout cela, répondit M. Bergeret. J’ai vendu à mon frère Clopinel de la fraternité à faux poids. Je me suis humilié en l’humiliant. Car l’aumône avilit également celui qui la reçoit et celui qui la fait. J’ai mal agi.

— Je ne crois pas, dit Pauline.

— Tu ne le crois pas, répondit M. Berge-