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LES DIEUX ONT SOIF

s’en fiant toutefois à sa chance et sûre de se tirer d’affaire en toute rencontre.

Évariste la regarda de cet air sombre qui mieux que tous les sourires exprime l’amour. Elle le regarda avec une moue un peu moqueuse qui retroussait ses yeux noirs, et cette expression lui venait de ce qu’elle se savait aimée et qu’elle n’était pas fâchée de l’être et de ce que cette figure-là irrite un amoureux, l’excite à se plaindre, l’induit à se déclarer s’il ne l’a pas encore fait, ce qui était le cas d’Évariste.

Ayant mis les assignats dans la caisse, elle tira de sa corbeille à ouvrage une écharpe blanche, qu’elle avait commencé de broder, et se mit à travailler. Elle était laborieuse et coquette, et comme, d’instinct, elle maniait l’aiguille pour plaire en même temps que pour se faire une parure, elle brodait de façons différentes selon ceux qui la regardaient : elle brodait nonchalamment pour ceux à qui elle voulait communiquer une douce langueur ; elle brodait capricieusement pour ceux qu’elle s’amusait à désespérer un peu. Elle se mit à broder avec soin pour Évariste, en qui elle désirait entretenir un sentiment sérieux.

Élodie n’était ni très jeune ni très jolie. On pouvait la trouver laide au premier abord.