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LES DIEUX ONT SOIF

les tables se renversèrent, les verres volèrent en éclats, les quinquets s’éteignirent, les femmes poussèrent des cris aigus. Assaillie par plusieurs patriotes, Julie s’arma d’une banquette, fut terrassée, griffa, mordit ses agresseurs. De son carrick ouvert et de son jabot déchiré sa poitrine haletante sortait. Une patrouille accourut au bruit, et la jeune aristocrate s’échappa entre les jambes des gendarmes.

Chaque jour, les charrettes étaient pleines de condamnés.

— Je ne peux pourtant pas laisser mourir mon amant ! disait Julie à sa mère.

Elle résolut de solliciter, de faire des démarches, d’aller dans les comités, dans les bureaux, chez des représentants, chez des magistrats, partout où il faudrait. Elle n’avait point de robe. Sa mère emprunta une robe rayée, un fichu, une coiffe de dentelle à la citoyenne Blaise, et Julie, vêtue en femme et en patriote, se rendit chez le juge Renaudin, dans une humide et sombre maison de la rue Mazarine.

Elle monta en tremblant l’escalier de bois et de carreau et fut reçue par le juge dans son cabinet misérable, meublé d’une table de sapin et de deux chaises de paille. Le papier de tenture pendait en lambeaux. Renaudin, les cheveux noirs et collés, l’œil sombre, les babines