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LES DIEUX ONT SOIF

Elle lui répondit doucement, de sa voix claire, qu’elle y consentait. Mais, au son de cette voix et averti, peut-être, par une subtile odeur de femme, il s’éloigna vivement, laissant exposée à la pluie d’orage la jeune femme, qui comprit et, malgré ses soucis, ne put s’empêcher de sourire.

Julie logeait dans une mansarde de la rue du Cherche-Midi et se faisait passer pour un commis drapier qui cherchait un emploi : la citoyenne veuve Gamelin, persuadée enfin que sa fille ne courait nulle part de si grand danger que près d’elle, l’avait éloignée de la place de Thionville et de la section du Pont-Neuf, et l’entretenait de vivres et de linge autant qu’elle pouvait. Julie faisait un peu de cuisine, allait au Luxembourg voir son cher amant et rentrait dans son taudis ; la monotonie de ce manège berçait ses chagrins et, comme elle était jeune et robuste, elle dormait toute la nuit d’un profond sommeil. D’un caractère hardi, habituée aux aventures et excitée, peut-être, par l’habit qu’elle portait, elle allait quelquefois, la nuit, chez un limonadier de la rue du Four, à l’enseigne de la Croix rouge, que fréquentaient des gens de toutes sortes et des femmes galantes. Elle y lisait les gazettes et jouait au tric-trac avec quelque courtaud de boutique ou quelque militaire, qui lui fumait sa pipe au nez. Là, on