Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/292

Cette page a été validée par deux contributeurs.
282
LES DIEUX ONT SOIF

alors qu’il sera vraiment dieu ! Car les dieux se connaissent à l’appétit.

Brotteaux n’avait jamais été touché par la gloire des armes. Il ne se réjouissait nullement des triomphes de la République, qu’il avait prévus. Il n’aimait point le nouveau régime qu’affermissait la victoire. Il était mécontent. On l’eût été à moins.

Un matin, on annonça que les commissaires du Comité de sûreté générale feraient des perquisitions chez les détenus, qu’on saisirait assignats, objets d’or et d’argent, couteaux, ciseaux, que de telles recherches avaient été faites au Luxembourg et qu’on avait enlevé lettres, papiers, livres.

Chacun alors s’ingénia à trouver quelque cachette où mettre ce qu’il avait de plus précieux. Le Père Longuemare porta, par brassées, sa défense dans une gouttière, Brotteaux coula son Lucrèce dans les cendres de la cheminée.

Quand les commissaires, ayant au cou des rubans tricolores, vinrent opérer leurs saisies, ils ne trouvèrent guère que ce qu’on avait jugé convenable de leur laisser. Après leur départ, le Père Longuemare courut à sa gouttière et recueillit de sa défense ce que l’eau et le vent en avaient laissé. Brotteaux retira de la cheminée son Lucrèce tout noir de suie.