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LES DIEUX ONT SOIF

Rentré dans son grenier, il trouva le Père Longuemare qui lisait son bréviaire.

Il lui montra Athénaïs, qu’il tenait par la main :

— Mon Père, voilà une fille de la rue Fromenteau qui a crié : « Vive le roi ! » La police révolutionnaire est à ses trousses. Elle n’a point de gîte. Permettrez-vous qu’elle passe la nuit ici ?

Le Père Longuemare ferma son bréviaire :

— Si je vous comprends bien, dit-il, vous me demandez, monsieur, si cette jeune fille, qui est comme moi sous le coup d’un mandat d’arrêt, peut, pour son salut temporel, passer la nuit dans la même chambre que moi.

— Oui, mon Père.

— De quel droit m’y opposerais-je ? Et, pour me croire offensé de sa présence, suis-je sûr de valoir mieux qu’elle ?

Il se mit, pour la nuit, dans un vieux fauteuil ruiné, assurant qu’il y dormirait bien. Athénaïs se coucha sur le matelas. Brotteaux s’étendit sur la paillasse et souffla la chandelle.

Les heures et les demies sonnaient aux clochers des églises : il ne dormait point et entendait les souffles mêlés du religieux et de la fille. La lune, image et témoin de ses anciennes amours, se leva et envoya dans la mansarde un