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LES DIEUX ONT SOIF

Sans doute parce qu’il avait la fièvre, ses yeux brillaient comme des pierreries et ses joues avaient l’air d’être vernies. Il s’assit. Ses jambes, qu’il croisait, étaient d’une maigreur excessive et ses grandes mains noueuses en faisaient tout le tour. Il se nommait Marie-Adolphe Guillergues et était prévenu de dilapidation dans les fourrages de la République. L’acte d’accusation mettait à sa charge des faits nombreux et graves, dont aucun n’était absolument certain. Interrogé, Guillergues nia la plupart de ces faits et expliqua les autres à son avantage. Son langage était précis et froid, singulièrement habile et donnait l’idée d’un homme avec lequel il n’est pas désirable de traiter une affaire. Il avait réponse à tout. Quand le juge lui faisait une question embarrassante, son visage restait calme et sa parole assurée, mais ses deux mains, réunies sur sa poitrine, se crispaient d’angoisse. Gamelin s’en aperçut et dit à l’oreille de son voisin, peintre comme lui :

— Regardez ses pouces !

Le premier témoin qu’on entendit apporta des faits accablants. C’est sur lui que reposait toute l’accusation. Ceux qui furent appelés ensuite se montrèrent, au contraire, favorables à l’accusé. Le substitut de l’accusateur public fut véhément, mais demeura dans le vague. Le défenseur parla