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LES DIEUX ONT SOIF

pourrait un jour le faire jeter en prison pour se débarrasser de lui. Sa sagesse lui conseillait de reconquérir cette beauté perdue. C’est pourquoi il était venu armé de tous ses charmes. Il s’approchait d’elle, s’éloignait, se rapprochait, la frôlait, la fuyait selon les règles de la séduction dans les ballets. Puis, il se jeta dans un fauteuil, et, de sa voix invincible, de sa voix qui parlait aux entrailles des femmes, il lui vanta la nature et la solitude et lui proposa en soupirant une promenade à Ermenonville.

Cependant, elle tirait quelques accords de sa harpe et jetait autour d’elle des regards d’impatience et d’ennui. Soudain Henry se dressa sombre et résolu et lui annonça qu’il partait pour l’armée et serait dans quelques jours devant Maubeuge.

Sans montrer ni doute ni surprise, elle l’approuva d’un signe de tête.

— Vous me félicitez de cette décision ?

— Je vous en félicite.

Elle attendait un nouvel ami qui lui plaisait infiniment et dont elle pensait tirer de grands avantages ; tout autre chose que celui-ci : un Mirabeau ressuscité, un Danton décrotté et devenu fournisseur, un lion qui parlait de jeter tous les patriotes dans la Seine. À tout moment elle croyait entendre la sonnette et tressaillait.