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LES DIEUX ONT SOIF

collés contre elle, la regardaient peindre. Elle les écartait de son jour en les appelant moucherons et en leur donnant des berlingots. Et la citoyenne Thévenin, quand elle en trouvait de jolis, les débarbouillait, les embrassait et leur mettait des fleurs dans les cheveux. Elle les caressait avec une douceur mélancolique parce qu’elle n’avait pas la joie d’être mère, et aussi pour s’embellir par l’expression d’un tendre sentiment et pour exercer son art de l’attitude et du groupement.

Seule, elle ne dessinait ni ne peignait. Elle s’occupait d’apprendre un rôle et plus encore de plaire. Et, son cahier à la main, elle allait de l’un à l’autre, chose légère et charmante. « Pas de teint, pas de figure, pas de corps, pas de voix », disaient les femmes, et elle emplissait l’espace de mouvement, de couleur et d’harmonie. Fanée, jolie, lasse, infatigable, elle était les délices du voyage. D’humeur inégale et cependant toujours gaie, susceptible, irritable et pourtant accommodante et facile, la langue salée avec le ton le plus poli, vaine, modeste, vraie, fausse, délicieuse, si Rose Thévenin ne faisait pas bien ses affaires, si elle ne devenait point déesse, c’est que les temps étaient mauvais et qu’il n’y avait plus à Paris ni encens ni autels pour les Grâces. La citoyenne Blaise, qui