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LES DIEUX ONT SOIF

ravages que cause une existence sédentaire et recluse aux hommes vigoureux, faits pour le grand air et les exercices violents. Les dossiers montaient autour de lui comme les murs d’un sépulcre, et, visiblement, il aimait cette paperasserie terrible qui semblait vouloir l’étouffer. Ses propos étaient d’un magistrat laborieux, appliqué à ses devoirs et dont l’esprit ne sortait pas du cercle de ses fonctions. Son haleine échauffée sentait l’eau-de-vie qu’il prenait pour se soutenir et qui ne semblait pas monter à son cerveau, tant il y avait de lucidité dans ses propos constamment médiocres.

Il vivait dans un petit appartement du Palais, avec sa jeune femme, qui lui avait donné deux jumeaux. Cette jeune femme, la tante Henriette et la servante Pélagie composaient toute sa maison. Il se montrait doux et bon envers ces femmes. Enfin, c’était un homme excellent dans sa famille et dans sa profession, sans beaucoup d’idées et sans aucune imagination.

Gamelin ne put se défendre de remarquer avec quelque déplaisir combien ces magistrats de l’ordre nouveau ressemblaient d’esprit et de façons aux magistrats de l’ancien régime. Et c’en étaient : Herman avait exercé les fonctions d’avocat général au conseil d’Artois ; Fouquier était un ancien procureur au Châtelet. Ils avaient