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LES DIEUX ONT SOIF

— Vous pouvez être fière de votre fils, dit la citoyenne Rochemaure à la citoyenne Gamelin. Il est grand par le talent et par le caractère.

La citoyenne veuve Gamelin donna, en réponse, un bon témoignage de son fils, sans toutefois s’enorgueillir de lui devant une dame de haut parage, car elle avait appris dans son enfance que le premier devoir des petits est l’humilité envers les grands. Elle était encline à se plaindre, n’en ayant que trop sujet et trouvant dans ses plaintes un soulagement à ses peines. Elle révélait abondamment ses maux à ceux qu’elle croyait capables de les soulager, et madame de Rochemaure lui semblait de ceux-là. Aussi, mettant à profit l’instant favorable, elle conta tout d’une haleine la détresse de la mère et du fils, qui tous deux mouraient de faim. On ne vendait plus de tableaux : la Révolution avait tué le commerce comme avec un couteau. Les vivres étaient rares et hors de prix…

Et la bonne dame expédiait ses lamentations avec toute la volubilité de ses lèvres molles et de sa langue épaisse, afin de les avoir dépêchées toutes quand reparaîtrait son fils, dont la fierté n’eût point approuvé de telles plaintes. Elle s’efforçait d’émouvoir dans le moins de temps possible une dame qu’elle jugeait riche et répandue, et de l’intéresser au sort de son