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caché dans les tisons, prit la parole et dit au saint évêque :

— Regardez ce saloir, mon père : il en vaut la peine. C’est le meilleur saloir de toute la Vervignole. C’est le modèle et le parangon des saloirs. Le maître de céans, le seigneur Garum, quand il le reçut des mains d’un habile tonnelier, le parfuma de genièvre, de thym et de romarin. Le seigneur Garum n’a pas son pareil pour saigner la chair, la désosser, la découper curieusement, studieusement, amoureusement, et l’imprégner des esprits salins qui la conservent et l’embaument. Il est sans rival pour assaisonner, concentrer, réduire, écumer, tamiser, décanter la saumure. Goûtez de son petit-salé, mon père, et vous vous en lécherez les doigts : goûtez de son petit-salé, Nicolas, et vous m’en direz des nouvelles.

Mais à ce langage, et surtout à la voix qui le tenait (elle grinçait comme une scie), le saint évêque reconnut le malin esprit. Il fit