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les tours et détours qu’à leur insu ils imprimaient à leur pensée, lui décelaient le mal moral dont ils étaient profondément atteints. C’est de l’état public que tous deux tiraient la cause de leur souci ; mais ils la tiraient à rebours. M. Brome vivait dans la peur perpétuelle d’un changement. Dans la stabilité présente, au milieu de la prospérité et de la paix dont jouissait le pays, il craignait des troubles et redoutait un bouleversement total. Ses mains n’ouvraient qu’en tremblant les journaux ; il s’attendait tous les matins à y trouver l’annonce de tumultes et d’émeutes. Sous cette impression, il transformait les faits les plus insignifiants et les plus vulgaires incidents en préludes de révolutions, en prodromes de cataclysmes. Se croyant toujours à la veille d’une catastrophe universelle, il vivait dans un perpétuel effroi.

Un mal tout contraire, plus étrange et plus rare, ravageait M. Sandrique. Le calme l’ennuyait, l’ordre public l’impatientait, la