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de la barbe-bleue

craignait autant qu’il les aimait. Voilà l’origine et la cause initiale de toutes ses disgrâces. En voyant une dame pour la première fois, il aurait mieux aimé mourir que de lui adresser la parole, et, quelque goût qu’il en conçût, il restait devant elle dans un sombre silence ; ses sentiments ne se faisaient jour que par ses yeux, qu’il roulait d’une manière effroyable. Cette timidité l’exposait à toutes sortes de disgrâces, et surtout elle l’empêchait de se lier d’un commerce honnête avec des femmes modestes et réservées, et le livrait sans défense aux entreprises des plus hardies et des plus audacieuses. Ce fut le malheur de sa vie.

Orphelin des son jeune âge, après avoir rebuté par cette sorte de honte et d’effroi, qu’il ne savait vaincre, les partis avantageux et très honorables qui se présentaient, il épousa une demoiselle Colette Passage, nouvellement établie dans le pays, après avoir gagné quelque argent à faire danser un ours