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pas sa barbe en pointe comme son grand-père à la cour du roi Henry II ; il ne la portait pas en éventail comme son bisaïeul, qui fut tué à la bataille de Marignan. Ainsi que M. de Turenne, il n’avait qu’un peu de moustache et la mouche ; ses joues paraissaient bleues ; mais quoi qu’on ait dit, ce bon seigneur n’en était point défiguré, et ne faisait point peur pour cela. Il n’en semblait que plus mâle, et, s’il en prenait un air un peu farouche, ce n’était pas pour le faire haïr des femmes. Bernard de Montragoux était un très bel homme, grand, large d’épaules, de forte corpulence et de bonne mine ; quoique rustique et sentant plus les forêts que les ruelles et les salons. Pourtant, il est vrai qu’il ne plaisait pas aux dames autant qu’il aurait dû leur plaire, fait de la sorte et riche. Sa timidité en était la cause, sa timidité et non pas sa barbe. Les dames exerçaient sur lui un invincible attrait et lui faisaient une peur insurmontable. Il les