Page:Anatole France - Les Désirs de Jean Servien.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vaient le distraire, et les brutalités d’une vie étroite et pauvre ne troublèrent point sa fête intérieure. Tout le jour, au fond de la boutique où l’odeur de colle forte se mêlait au fumet de la soupe aux choux, il vivait dans une incomparable splendeur. Son petit livre, criblé de coups d’ongles aux couplets d’Émilie, suffisait à l’entretenir dans la plus belle des illusions. Une image et des sons, c’était pour lui le monde.

En peu de jours il sut par cœur tous les vers de la tragédie ; il les récitait d’une voix enflée et lente, et sa tante lui disait après chaque tirade, tout en épluchant des légumes :

— « Tu veux donc te faire curé, que tu prêches comme à l’église ? »

Mais elle approuvait en somme ces exercices et, quand M. Servien se plaignait en se grattant la tête de ce que son fils ne se décidât à embrasser aucune pro-