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— « Mesdames et messieurs, dit-il, j’ai traduit dans la langue française, que Brunetto Latini disait être la plus délectable de toutes, la Jerusalem liberata, le chef-d’œuvre glorieux du divin Torquato Tasso. J’ai écrit ce grand ouvrage dans un grenier sans feu, sur du papier à chandelle, sur des cornets de tabac… »

Alors, d’un des coins du parloir, un rire d’enfant partit comme une fusée.

M. Tudesco s’arrêta et sourit, les cheveux épars, l’œil noyé, les bras ouverts comme pour embrasser et bénir ; puis il reprit :

— « Je dis : Le rire de l’innocence, c’est la joie du vieillard infortuné. Je vois d’ici des groupes dignes du pinceau du Corrège et je dis : Heureuses les familles réunies en paix dans le sein de la patrie ! Mesdames et messieurs, excusez-moi si je vous tends le casque de Bélisaire. Je suis un vieil arbre foudroyé. »