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mier violon est sourd, le deuxième aigre, le troisième presque muet, le quatrième enroué, cinq autres n’ont ni force ni justesse, mais le douzième rend sous l’archet du maître des sons suaves et puissants. Paganini reconnaît un Stradivarius ; il l’emporte ; il le garde en jaloux ; il tire de cet instrument, qui aurait toujours été pour moi un sabot sonore, des notes qui font pleurer, qui font aimer et qui donnent l’extase ; il fait un testament pour qu’on renferme ce violon avec lui dans le cercueil. Paganini, c’est l’amant, la machine à table d’harmonie, c’est la femme. Il faut qu’elle soit bien construite, cette machine, et sorte de la boutique d’un savant luthier ; il faut surtout qu’elle tombe aux mains d’un exécutant habile. Mais, mon pauvre Jean, à supposer que ta tragédienne soit un divin instrument de musique amoureuse, je ne te crois pas capable d’en tirer une seule note de