Page:Anatole France - Les Contes de Jacques Tournebroche.djvu/295

Cette page a été validée par deux contributeurs.

non pas ! Jamais un soldat ne sera le maître de cette nation éclairée par la philosophie et par la science. Si quelque général tentait de prendre le pouvoir, il serait bientôt puni de son audace. Hoche y songea. Je ne sais s’il fut arrêté par le goût du plaisir ou par une juste appréciation des choses, mais l’entreprise se renversera sur tous les soldats qui la tenteront. Pour ma part, j’approuve cette impatience des Français qui ne veulent pas subir le joug militaire et je n’hésite pas à penser que dans l’État la prééminence appartient au civil.

En entendant ces déclarations, Monge et Berthollet se regardèrent surpris. Ils savaient que Bonaparte allait, à travers les périls et l’inconnu, prendre le pouvoir, et ils ne comprenaient rien à un discours par lequel il semblait s’interdire ce pouvoir ardemment convoité. Monge qui, dans le fond de son cœur, aimait la liberté, commençait à se réjouir. Mais le général, qui devinait leur pensée, y répondit aussitôt :

— Il est certain que si la nation découvre dans un soldat les qualités civiles convenables