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ardente des étoiles était suspendue en flocons tremblants. Le général resta songeur un moment. Puis, soulevant la tête et la poitrine, il suivit d’un geste de sa main la courbe du ciel, et sa voix inculte de jeune pâtre et de héros antique perça le silence :

— J’ai une âme de marbre que rien ne trouble, un cœur inaccessible aux faiblesses communes. Mais vous, Berthollet, savez-vous assez ce qu’est la vie, et la mort [1], en avez-vous assez exploré les confins, pour affirmer qu’ils sont sans mystère ? Êtes-vous sûr que toutes les apparitions soient faites des fumées d’un cerveau malade ? Pensez-vous expliquer tous les pressentiments ? Le général La Harpe avait la stature et le cœur d’un grenadier. Son intelligence trouvait dans les combats l’aliment convenable. Elle y brillait. Pour la première fois, à Fombio, dans la soirée qui précéda sa mort, il resta frappé de stupeur, étranger à l’action, glacé d’une épouvante inconnue et soudaine. Vous niez les apparitions. Monge,

  1. Nous reproduisons la phrase telle qu’elle a été dite.