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prenait même un plaisir mélancolique à regarder la mer qui, riante ou sombre, menaçait sa fortune et le séparait du but. Après le repas, quand le temps était beau, il montait sur le pont et se couchait à demi sur l’affût d’un canon, dans l’attitude abandonnée et sauvage avec laquelle, enfant, il s’accoudait aux pierres de son île. Les deux savants, l’amiral, le capitaine de la frégate et l’aide de camp Lavallette faisaient cercle autour de lui. Et la conversation, qu’il menait par saccades, roulait le plus souvent sur quelque nouvelle découverte de la science. Monge s’exprimait avec pesanteur. Mais sa parole révélait un esprit limpide et droit. Enclin à chercher l’utile, il se montrait, même en physique, patriote et bon citoyen. Berthollet, meilleur philosophe, construisait volontiers des théories générales.

— Il ne faut pas, disait-il, faire de la chimie la science mystérieuse des métamorphoses, une Circé nouvelle, levant sur la nature sa baguette magique. Ces vues flattent les imaginations vives ; mais elles ne contentent pas les