Page:Anatole France - Les Contes de Jacques Tournebroche.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
FARINATA.

Mais comment l’amour peut-il engendrer la haine ? et pourquoi suis-je odieux à ma ville bien-aimée ?

FRA AMBROGIO.

Je vous répondrai donc puisque vous le voulez, messer Farinata. Mais vous ne tirerez de ma bouche que des paroles de vérité. Vos concitoyens ne vous pardonnent pas d’avoir combattu à Montaperto, sous la bannière blanche de Manfred, le jour où l’Arbia fut rougie du sang des Florentins. Et ils jugent qu’en ce jour, dans la vallée funeste, vous ne fûtes pas l’ami de votre ville.

FARINATA.

Quoi ! je ne l’ai pas aimée ! Vivre de sa vie, ne vivre que pour elle, souffrir la fatigue, la faim, la soif, la fièvre, l’insomnie, et la peine sans pareille, l’exil ; affronter la mort à toute heure et risquer de tomber vivant aux mains de ceux qui ne se seraient point contentés de ma mort ; tout oser, tout endurer pour elle,