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envers moi par ce moyen, il prit la porte que je lui montrai sans rien dire. Demeurée seule, je me sentis une tranquillité qui me surprit moi-même. Elle venait de ce que j’étais résolue à mourir. Je m’habillai avec quelque soin, j’écrivis une lettre à ma tante pour lui demander pardon de la peine que j’allais lui faire en mourant et je sortis dans la ville. J’y errai tout l’après-midi et une partie de la nuit, traversant les rues animées ou désertes sans éprouver de fatigue et retardant l’exécution de mon dessein, pour la rendre plus sûre, à la faveur de l’ombre et de la solitude. Peut-être aussi, par une sorte de faiblesse, me plaisait-il de caresser l’idée de ma mort et de goûter la triste joie de ma délivrance. À 2 heures du matin, je descendis sur la berge de la rivière. Messieurs, vous savez le reste, vous m’avez arrachée à la mort. Je vous remercie de votre bonté, sans me réjouir de ses effets. Les filles abandonnées, cela court le monde. Je désirais qu’il ne s’en trouvât point une de plus. »

Ayant ainsi parlé, Sophie se tut et recommença de verser des larmes.