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dirait ce qu’il ne lui demandait pas. Elle versa de nouveau des larmes, poussa de grands soupirs et dit :

« J’aurais tort, monsieur, de répondre par le silence à votre bonté. Je ne crains pas de me confier à vous. Je me nomme Sophie T***. Vous l’aviez deviné : c’est la trahison d’un amant trop chéri qui m’a réduite au désespoir. Si vous jugez que ma douleur est démesurée, c’est que vous ne savez point jusqu’où allaient ma confiance et mon aveuglement, et que vous ignorez à quel rêve enchanteur je viens d’être arrachée. »

Puis, levant ses beaux yeux sur M. Coignard et sur moi, elle poursuivit de la sorte :

« Je ne suis pas telle, messieurs, que cette rencontre nocturne pourrait me faire paraître à vos yeux. Mon père était marchand. Il alla, pour son négoce, à l’Amérique, et il périt, à son retour, dans un naufrage, avec ses marchandises. Ma mère fut si touchée de cette perte qu’elle en mourut de langueur, me laissant, encore enfant, à une tante qui prit soin de m’élever. Je fus sage jusqu’au moment où