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tantôt en cette ville claire la mine d’un hibou au soleil. Cette nuit, c’est bien pis ! Voulant observer les mœurs populaires, j’allai dans la Strada di Porto, où je suis présentement. Autour de moi, des groupes animés se pressent devant les boutiques de victuailles, et je flotte comme une épave au gré de ces flots vivants qui, quand ils submergent, caressent encore. Car ce peuple napolitain a, dans sa vivacité, je ne sais quoi de doux et de flatteur. Je ne suis point bousculé, je suis bercé et je pense que, à force de me balancer deçà, delà, ces gens vont m’endormir debout. J’admire, en foulant les dalles de lave de la Strada, ces portefaix et ces pêcheurs qui vont, parlent, chantent, fument, gesticulent, se querellent et s’embrassent avec une étonnante rapidité. Ils vivent à la fois par tous les sens et, sages sans le savoir, mesurent leurs désirs à la brièveté de la vie. Je m’approchai d’un cabaret fort achalandé et je lus sur la porte ce quatrain en patois de Naples :


Amice, alliegre magnammo e bevimmo
Nfin che n’ce stace noglio a la lucerna :
Chi sa s’a l’autro munno nc’e vedimmo ?
Chi sa s’a l’autro munno n’ce taverna ?