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à genoux, en rond, à mes pieds ; ils pleureront et ils seront si laids que je leur céderai pour ne plus les voir. »

Telles étaient les affreuses images, les songes de malade que la peur assemblait dans mon imagination. Oui, la peur, la peur féconde, comme dit le poète, enfantait ces monstres dans mon cerveau. Car, je le confesse en ces pages intimes : j’ai peur de ma gouvernante. Je sais qu’elle sait que je suis faible, et cela m’ôte tout courage dans mes luttes avec elle. Ces luttes sont fréquentes et j’y succombe invariablement.

Mais il fallait bien annoncer mon départ à Thérèse. Elle vint dans la bibliothèque avec une brassée de bois pour allumer un petit feu, « une flambée », disait-elle. Car les matinées sont fraîches. Je l’observais du coin de l’œil, tandis qu’elle était accroupie, la tête sous le tablier de la cheminée. Je ne sais d’où me vint alors mon courage, mais je n’hésitai pas. Je me levai, et me promenant de long en large dans la chambre :

— A propos, dis-je, d’un ton léger, avec cette crânerie particulière aux poltrons, à propos, Thérèse, je pars pour la Sicile.

Ayant parlé, j’attendis, fort inquiet. Thérèse