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caprice, de traverser ma cervelle, elle s’y froisserait horriblement à des tas de parchemin racorni. Heureux les poètes ! leurs cheveux blancs n’effarouchent point les ombres flottantes des Hélène, des Francesca, des Juliette, des Julie et des Dorothée ! Et le nez seul de Sylvestre Bonnard mettrait en fuite tout l’essaim des grandes amoureuses.

J’ai pourtant, comme un autre, senti la beauté ; j’ai pourtant éprouvé le charme mystérieux que l’incompréhensible nature a répandu sur des formes animées ; une vivante argile m’a donné le frisson qui fait les amants et les poètes. Mais je n’ai su ni aimer ni chanter. Dans mon âme, encombrée d’un fatras de vieux textes et de vieilles formules, je retrouve, comme une miniature dans un grenier, un clair visage avec deux yeux de pervenche… Bonnard, mon ami, vous êtes un vieux fou. Lisez ce catalogue qu’un libraire de Florence vous envoya ce matin même. C’est un catalogue de manuscrits et il vous promet la description de quelques pièces notables, conservées par des curieux d’Italie et de Sicile. Voilà qui vous convient et va à votre mine !