Page:Anatole France - Le crime de Sylvestre Bonnard, membre de l’Institut, 1849.djvu/41

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais Thérèse n’est pas ici. Et comment serait-elle près de moi, sur le rond-point des Champs-Élysées ? Là-bas, au bout de l’avenue, l’Arc de Triomphe, qui, portant sous ses voûtes les noms des compagnons d’armes de l’oncle Victor, ouvre sur le ciel sa porte gigantesque. Les arbres de l’avenue déploient, au soleil du printemps, leurs premières feuilles encore pâles et frileuses. A mon côté, les calèches roulent vers le Bois de Boulogne. J’ai poussé ma promenade sur cette avenue mondaine, et me voici arrêté sans raison devant une boutique en plein air où sont des pains d’épice et des carafes de coco bouchées par un citron. Un petit misérable, couvert de loques qui laissent voir sa peau gercée, ouvre de grands yeux devant ces somptueuses douceurs qui ne sont point pour lui. Il montre son envie avec l’impudeur de l’innocence. Ses yeux ronds et fixes contemplent un bonhomme de pain d’épice d’une haute taille. C’est un général, et il ressemble un peu à l’oncle Victor. Je le prends, je le paye et je le tends au petit pauvre qui n’ose y porter la main, car, par une précoce expérience, il ne croit pas au bonheur ; il me