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du pôle si je savais qu’il y fût. Mais je ne sais où il est. Je ne sais s’il est gardé dans une armoire de fer, sous une triple serrure, par un jaloux bibliomane ; je ne sais s’il moisit dans le grenier d’un ignorant. Je frémis à la pensée que, peut-être, ses feuillets arrachés couvrent les pots de cornichons de quelque ménagère.

30 août 1862

Une lourde chaleur ralentissait mes pas. Je rasais les murs des quais du nord, et, dans l’ombre tiède, les boutiques de vieux livres, d’estampes et de meubles anciens amusaient mes yeux et parlaient à mon esprit. Bouquinant et flânant, je goûtais au passage quelques vers haut sonnants d’un poète de la pléiade, je lorgnais une élégante mascarade de Watteau ; je tâtais de l’œil une épée à deux mains, un gorgerin d’acier, un morion. Quel casque épais et quelle lourde cuirasse, seigneur ! Vêtement de géant ? Non ; carapace d’insecte. Les hommes d’alors étaient cuirassés comme des hannetons ; leur faiblesse était en dedans. Tout au contraire,