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milices célestes de la victoire qu’il remporta avant le commencement des temps. Spinello représenta donc saint Michel combattant dans les airs le serpent à sept têtes et dix cornes, et il se plut à figurer, dans la partie inférieure du tableau, le prince des démons, Lucifer, sous l’apparence d’un monstre épouvantable. Les figures naissaient d’elles-mêmes sous sa main. Et il réussit au delà de ce qu’il espérait : la face de Lucifer était si hideuse qu’on ne pouvait échapper à la puissance de sa laideur. Cette face poursuivit le peintre dans la rue et l’accompagna jusqu’à son logis.

La nuit étant venue, Spinello se coucha dans son lit au côté de sa femme et dormit. Pendant son sommeil, il vit un ange aussi beau que saint Michel, mais noir. Cet ange lui dit :

— Spinello, je suis Lucifer. Où donc m’avais-tu vu, pour me peindre comme tu fis, sous un aspect ignominieux ?

Le vieux peintre lui répondit en tremblant qu’il ne l’avait jamais vu de ses yeux, n’étant point allé vif en enfer, ainsi que Dante Alighieri ; mais qu’en le figurant comme il avait