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nature de ces deux Amours. Or, une nuit qu’il y songeait plus obstinément que de coutume, une ombre s’éleva au-dessus du couvercle de ce tombeau, et c’était une ombre lumineuse ; on eût dit la lune qu’on voit ou qu’on croit voir dans un nuage. Elle prit peu à peu la forme d’une belle vierge et parla d’une voix plus douce que le chant des roseaux agités par le vent :

« — Moi, celle qui dort dans ce tombeau, dit-elle, j’ai nom Julia Læta. Je perdis la lumière pendant le festin de mes noces, à l’âge de seize ans, trois mois et neuf jours. Depuis lors, suis-je ou ne suis-je pas ? Je ne sais. N’interroge point les morts, étranger, car ils ne voient rien, et une nuit épaisse les environne. On dit que ceux-là qui connurent les joies cruelles de Vénus errent dans une épaisse forêt de myrtes. Pour moi, qui mourus vierge, je dors un sommeil sans rêves. On a gravé deux Amours sur la pierre de mon sépulcre. L’un donne aux humains la lumière du jour ; l’autre la vient éteindre à jamais dans leurs tendres yeux. Ils ont même visage et sourient tous deux, parce que le naître et le