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le Tafi était un maître habile. Étant allé à Venise alors qu’Apollonius revêtait de mosaïques les murs de San Marco, il avait surpris par ruse des secrets que les Grecs gardaient soigneusement. De retour dans sa ville, il se rendit si fameux dans l’art de composer des tableaux par l’assemblage d’une infinité de petits carrés de verre diversement colorés, qu’il ne pouvait suffire aux demandes qu’on lui faisait de ces sortes d’ouvrages et que, chaque jour, depuis matines jusqu’à vêpres, il était occupé dans quelque église, sur un échafaud, à représenter le Christ mort ou le Christ dans sa gloire, les patriarches, les prophètes ou l’histoire de Job ou celle de Noé. Et comme il était jaloux aussi de peindre à la fresque, avec des couleurs broyées, dans la manière des Grecs, qui était alors la seule connue, il ne prenait jamais de repos et n’en donnait jamais à ses apprentis. Il avait coutume de leur dire :

— Ceux-là qui comme moi possèdent de beaux secrets et excellent dans leur art doivent avoir sans cesse l’esprit et le bras tendus à leurs entreprises, afin de gagner beaucoup d’argent et de laisser une longue mémoire.