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désirer aucune satisfaction. C’était beau, mais monotone.

Je traitais aussi les sujets militaires et ne craignais point d’aborder l’épopée napoléonienne que je recueillais sur les lèvres des survivants de la grande époque, si nombreux autour de mon berceau. Dunois faisait Napoléon ; Blanche de Castille, Joséphine (je ne connaissais pas Marie-Louise) ; Mitoufle, un grenadier ; Jeannot, un fifre ; Rappart faisait les Anglais, les Prussiens, les Autrichiens et les Russes, l’ennemi. Et avec ces ressources, je trouvais le moyen de remporter les victoires d’Austerlitz, d’Iéna, de Friedland, de Wagram, d’entrer à Vienne et à Berlin. D’ordinaire, on ne jouait pas deux fois la même pièce. J’en avais toujours une toute prête. Pour la fécondité, j’étais un Calderon.

L’on pense bien que, grâce aux jeux de ce théâtre où j’étais à la fois directeur, auteur, troupe et spectateur, je ne m’ennuyais plus au lit. J’y restais au contraire le plus longtemps possible et feignais des maladies pour ne pas me lever. Ma chère maman, qui ne me reconnaissait plus, me demandait d’où venait cette paresse nouvelle. Faute de connaître mon art