Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sans me l’avouer à moi-même, quelque sentiment que ma caisse n’était pas très sonore et ne s’entendait pas à une lieue à la ronde. Et, dans le fait, la peau d’âne (si c’était une peau, ce dont je doute véhémentement aujourd’hui), mal tendue, ne retentissait point sous le choc de baguettes si petites et si légères que je ne les sentais pas entre mes doigts. Je reconnaissais là le génie paisible et vigilant de ma mère et son zèle à bannir de la maison les jouets bruyants. Elle en avait écarté déjà les fusils, les pistolets et les carabines à mon grand regret, car je me délectais dans le vacarme, et mon âme s’exaltait aux détonations. Sans doute on ne voudrait pas qu’un tambour fût muet ; mais l’enthousiasme supplée à tout. Le tumulte de mon cœur emplissait mes oreilles d’un bruit de gloire. J’imaginais une cadence qui faisait marcher d’un seul pas des milliers d’hommes, j’imaginais des roulements qui pénétraient les âmes d’héroïsme et d’horreur. J’imaginais, dans le jardin fleuri du Luxembourg, des colonnes s’avançant à perte de vue par la plaine infinie ; j’imaginais des chevaux, des canons, des caissons défonçant les routes, des casques étincelants aux noires crinières,