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avoir un tambour, sans me sentir aucune envie d’être tambour. Du métier je ne considérais ni la gloire ni les risques. Bien qu’assez versé, pour mon âge, dans les fastes militaires de la France, je n’avais encore entendu parler ni du jeune Bara mort en pressant ses baguettes sur son cœur, ni de ce tambour de quinze ans qui, à la bataille de Zurich, le bras percé d’une balle, continua de battre la charge, reçut du premier consul, à l’une des revues du décadi, une baguette d’honneur, et, pour la mériter, se fit tuer à la première occasion. Nourri dans une période de paix, je ne connaissais de tambours que les deux tambours de la garde nationale qui, le premier de l’an, présentaient à mon père, aide-major au 2e bataillon, et à son épouse, une lettre de compliments ornée d’une vignette coloriée. Cette vignette représentait les deux tambours, très embellis, saluant, dans un salon tout doré, un monsieur en redingote verte et une dame en crinoline et volants de dentelle. Dans la réalité, ils avaient l’œil émerillonné, de grosses moustaches et le nez rouge. Mon père leur donnait une pièce de cent sous et les envoyait boire un verre de vin, que la vieille Mélanie leur servait dans la cui-