Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/334

Cette page a été validée par deux contributeurs.

regardait sans joie et sans amour, et il n’était ni assez exquis ni assez pervers pour affecter les dehors d’une tendresse qu’il n’éprouvait pas. Il ne nous fit pas de discours et, nous ayant observés un moment, il nous demanda nos noms qu’il inscrivait, à mesure que nous les prononcions, dans un grand registre ouvert sur son pupitre. Je le trouvais vieux et machinal. Sans doute n’était-il pas aussi âgé qu’il me semblait. Quand il eut recueilli nos noms, il les mâcha quelque temps en silence, pour s’en pénétrer. Et je crois qu’aussitôt il les posséda tous. Son expérience lui avait enseigné qu’un maître ne tient ses élèves qu’autant qu’il tient leur nom et leur figure.

— Je vais, nous dit-il ensuite, vous dicter la liste des livres que vous devrez vous procurer le plus tôt possible.

Et il nous dénombra d’une voix lente et monotone des titres rébarbatifs tels que lexiques et rudiments (ne les pouvait-on nommer avec plus de douceur à de très jeunes enfants ?), les fables de Phèdre, une arithmétique, une géographie, le Selectæ e profanis…, que sais-je encore ? Et il termina sa liste par cette mention, nouvelle pour moi : Esther et Athalie.