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ou à raison, pour une marque de grande intelligence et me faisait juger un peu simple : jugement injuste. J’étais aussi intelligent que la plupart de mes camarades, mais je l’étais autrement. Leur intelligence leur servait dans les circonstances ordinaires de la vie. La mienne ne me venait en aide que dans les rencontres les plus rares et les plus inattendues. Elle se manifestait inopinément dans des promenades lointaines ou dans des lectures étranges. J’étais résigné à n’être pas un élève brillant et je me disposais, dès mon entrée au collège, à chercher ce qui pouvait, dans ma nouvelle existence, me donner quelque distraction. Tels étaient mon naturel et mon génie, et je n’ai jamais changé. J’ai toujours su me distraire ; ce fut tout mon art de vivre. Petit et grand, jeune et vieux, j’ai constamment vécu le plus loin possible de moi-même et hors de la triste réalité. J’éprouvais, en ce jour de rentrée, un désir d’autant plus vif d’échapper aux circonstances environnantes, que ces circonstances me semblaient particulièrement disgracieuses. Le collège était laid, sale, mal odorant ; mes camarades brutaux, les maîtres tristes. Notre professeur nous