mes parents passer quelquefois l’après-midi du dimanche. Madame Sibille, qui se nommait Hermance, blanche, menue, souple, les yeux verts, les pommettes pointues, le menton court, représentait assez bien la chatte métamorphosée en femme et gardant quelques traits de sa première nature. Isidore Sibille, son mari, long et triste, tenait de l’échassier. C’est ainsi que ce couple apparaissait à mon père qui cherchait volontiers, à l’exemple de Lavater, sur les figures humaines, une ressemblance animale, et en tirait des indices de caractère et de tempérament, mais d’une façon si vague et si hasardeuse que je serais fort en peine de dire ce qu’il inférait au juste de ces apparences échassière et féline. Tout ce que je sais de M. Sibille, c’est qu’il dirigeait une grande fabrique de cachemires français. J’ai entendu dire à ma mère que l’impératrice Eugénie portait quelquefois de ces cachemires pour encourager l’industrie nationale, et que c’était là une des obligations les plus pénibles qui pussent incomber à une souveraine, tant les couleurs de ces cachemires blessaient la vue. On remarquait qu’Hermance ne portait jamais de ces châles français.
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