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deux ensemble, une bouteille à la main, du haut en bas de l’escalier de la cave, et cette matinée tragique où, en arrosant de concert les fleurs, sur le rebord de la fenêtre, nous laissâmes tomber l’arrosoir sur la tête de M. Bellaguet. Ce fut à cette époque aussi que je rangeai en bataille avec le plus d’ardeur des armées de soldats de plomb sur la table de la salle à manger, et que j’y livrai les plus terribles combats, malgré les objurgations de Justine, pressée de mettre le couvert et qui, sur mon refus prolongé de ranger mes militaires dans leurs boîtes, ramassait, en dépit de mes cris, vainqueurs et vaincus pêle-mêle dans son tablier. Par représailles, je cachais la boîte à ouvrage de Justine dans le four de la cuisine et je m’étudiais à faire « endêver » cette simple créature. Enfin, j’étais un enfant très enfant, un petit garçon garçonnant, un petit animal vif et joyeux. Et il est vrai aussi que mademoiselle Mérelle exerçait sur moi une puissance irrésistible et que je subissais à sa vue un enchantement tel qu’on en voit dans les contes arabes.

Or, un jour, après dix mois d’ensorcellement, ma mère, à dîner, m’apprit que mon institutrice ne reviendrait plus.