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tenait pour intangible l’ordre de sa coiffure. Elle veillait avec une farouche pudeur à ce que rien, pas même la main d’une mère ou les souffles de l’air, n’altérât la symétrie, fort laide d’ailleurs, de ses bandeaux tirés et de ses nattes étriquées. Jamais, dans aucune circonstance, on ne l’avait surprise décoiffée, ni pendant une maladie qui l’avait retenue six semaines au lit, dans sa chambre où ma mère venait tous les jours la soigner, ni dans cette nuit d’effroi où l’on cria au feu, et pendant laquelle, sous la lune, aux yeux du concierge, elle courut en chemise et nu-pieds dans la cour, sa coiffure parfaitement ordonnée. À conserver cette immuable ordonnance elle mettait son honneur, sa gloire et sa vertu. Un seul cheveu dérangé, c’était la honte. Sous le coup asséné à son bonnet et à sa chevelure, Justine frémit, et porta les deux mains à sa tête. Elle voulut d’abord douter de son malheur. Il lui fallut tâter par trois fois sa nuque pour se convaincre que le bonnet était endommagé, la coiffure profanée. Force lui fut enfin de se rendre à l’évidence. Il y avait dans la dentelle un trou par lequel on pouvait passer le doigt, et une mèche s’échappait du chignon, longue et grosse comme