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son frère Symphorien d’un an moins âgé que moi, et plus avancé. Or, elle trouvait que l’esprit d’un garçon est d’être ferme et bien découplé, fort et gaillard. Et n’allez pas croire que je lui donne tort. Ensuite, bien que ce jugement puisse d’abord surprendre de la part d’une fille qui ne savait pas lire, elle me trouvait ignorant. Elle s’étonnait sans me le dire, mais je le voyais bien, que j’ignorasse, à mon âge, les mœurs des animaux et des choses de la nature que son frère Symphorien connaissait depuis longtemps ; mon innocence sur certains sujets lui semblait ridicule, car tout honnête fille qu’elle était, elle n’était pas naïve, et n’estimait pas la naïveté. Enfin, bien qu’il lui arrivât parfois de rire à se décrocher la rate, comme elle disait, elle jugeait qu’il fallait avoir peu d’entendement pour rire à tout bout de champ comme je faisais. C’était, selon elle, mal connaître la vie qui n’est pas risible, et c’était manquer de cœur. Voilà, bien déduites, les raisons pour lesquelles Justine me refusait toute intelligence. Et vraiment, elles ne sont pas mauvaises, bien qu’en définitive, je fusse un petit garçon capable de comprendre beaucoup de