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siégeait, barbu et cornu, le Moïse de Michel-Ange. Et çà et là, sur les tables, on voyait un jeune pêcheur napolitain tenant un crabe par une patte, un ange gardien portant au ciel un petit enfant, Mignon regrettant son pays, Méphistophélès s’enveloppant de ses ailes de chauve-souris et Jeanne d’Arc en prière. Enfin, un Spartacus, ayant brisé ses fers, se dressait farouche, serrant les poings sur la pendule-borne de la cheminée.

Pour les nettoyer, Justine frappait violemment d’un maigre plumeau les tableaux et les bronzes. Cette fustigation n’endommageait pas sensiblement mon grand-oncle ni ma grand’tante déjà tant éprouvés ; elle n’avait point de prise sur les formes simples et pleines de la Vénus et du Moïse. Mais la sculpture moderne en souffrait. Des plumes arrachées violemment à l’époussetoir se logeaient sous les ailes de l’ange gardien, entre les pattes du crabe, sous l’épée de Jeanne d’Arc, dans les cheveux de Mignon, dans la guirlande de Flore, dans les chaînes de Spartacus. Justine n’aimait pas ces guignols, comme elle les appelait, et surtout elle détestait le Spartacus. C’est lui qu’elle frappait le plus rudement ; elle le faisait chan-