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Loire entrait en lutte avec les ustensiles de cuisine et de ménage comme avec des esprits ennemis.

Elle s’attaquait aux métaux les plus durs. Les espagnolettes des fenêtres et les robinets des fontaines lui restaient dans la main. Enfin l’âme de ses lointains aïeux, remontée en elle, la vouait au plus sauvage fétichisme. Mais qui de nous ne s’est jamais irrité contre une chose non pensante dont il éprouvait de la douleur ou seulement de la résistance, une pierre, une épine, une branche ?

Je suivais Justine dans ses travaux quotidiens avec une curiosité qui ne se lassait jamais. Ma chère maman me reprochait ce qu’elle appelait ma sotte musardise. Elle n’en jugeait pas bien : Justine m’intéressait par ses façons guerrières et parce que toutes ses entreprises domestiques prenaient le caractère d’une lutte incertaine et terrible. Lorsque, armée de son balai et de son plumeau, elle disait avec force : « Faut que j’aille faire le salon », je l’accompagnais attentif.

Le salon était meublé d’un canapé et de vastes fauteuils d’acajou, destinés à recevoir sur leurs vieux sièges de velours rouge les