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plaintes que ceux d’aujourd’hui : « On ne peut plus se faire servir. Ce n’est pas comme autrefois où l’on trouvait facilement de fidèles domestiques. Tout est changé ! » Certaines personnes en accusaient la Révolution qui avait éveillé les convoitises populaires. Mais les convoitises dormirent-elles jamais ? La vérité est que, de tout temps, les bons maîtres et les bons serviteurs furent rares. On trouve de par le monde peu d’Épictètes et peu de Marc-Aurèles.

Ma chère maman attendait la nouvelle venue, non pas avec une aveugle confiance, qui n’était plus permise, mais non sans un pressentiment favorable, qu’elle laissait voir. D’où lui venait-il ? De ce qu’on disait la jeune fille sage, élevée par d’honnêtes paysans, formée au service par une vieille demoiselle d’une famille provinciale de militaires et de magistrats. Et puis ma mère tenait de l’abbé Moinier, son confesseur, que c’est un gros péché que de désespérer.

— Comment se nomme-t-elle ? demanda mon père.

— Elle se nommera comme tu voudras, mon ami. Son nom de baptême est Radégonde.

— Je n’aime pas beaucoup, répliqua mon