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quittaient la place dès qu’elles voyaient qu’on n’y faisait pas une grande dépense. Nous avions eu Sycorax qui portait de la barbe au menton et nous servait une cuisine de sorcière ; nous avions eu une fille de dix-huit ans, très jolie, ignorant tout du ménage et que ma mère pensait former, mais qui disparut au bout de trois jours, emportant six couverts d’argent ; nous avions eu une échappée de la Salpêtrière, qui se disait fille de Louis-Philippe et portait à son cou des bouchons de carafe ; et mon cher papa avait été, comme médecin, le dernier à s’apercevoir qu’elle était folle ; nous avions eu la Chouette, qui dormait toute la journée à notre service et, la nuit, quand on la croyait dans sa mansarde, tenait au fond d’une cour, rue Mouffetard, un cabaret où elle servait à des malfaiteurs le vin de notre cave, au reste rôtisseuse experte et grand cordon bleu, au dire de mon parrain qui s’y connaissait. Hortense Percepied, la dernière, qui, comme Pénélope, attendant son époux parti avec Cabet pour l’Icarie, attirait, comme Pénélope, un grand nombre de prétendants qui venaient manger dans la cuisine.

Les bourgeois d’alors faisaient les mêmes